Un cahier d’écriture tout fait? Oui, mais lequel?

Quand on a une classe de première primaire très nombreuse, il peut être tentant de choisir un cahier d’écriture tout fait. C’est une bonne solution, surtout si on est peu à l’aise avec son écriture modèle… et si le budget dont on dispose le permet.

Le marché est assez large, mais peu nombreuses sont les offres belges, les catalogues disponibles dans les écoles reprenant habituellement des titres français. Dans cet article, je compare pour vous un livret belge, « Mon Livret d’écriture de minuscules » de Gérard Fivet & Cie, chez De Boeck Van In et une série française, « Mes cahiers d’écriture » de Laurence Pierson, chez MDI éditions.

                             

Le livret De Boeck ne comporte pas d’indication de niveau. Vu son contenu, il est plutôt adapté à la troisième maternelle, raison pour laquelle il sera ici surtout comparé au cahier d’écriture GS MDI, parfois aux deux cahiers CP. Il existe un second livret, “Mon livret d’écriture de majuscules”, des mêmes auteurs, qui sera comparé au cahier d’écriture “Les majuscules” de Laurence Pierson dans un prochain article.

Première constatation : le format proposé.

Le livret d’écriture est proposé en format A4, qui est difficile à utiliser quand on a des bras de la taille d’un enfant de 3e maternelle ou de 1ère primaire… Imaginez-vous écrire en haut d’une page A3 pour la comparaison.

Les cahiers d’écriture ont un format évolutif, en fonction de l’âge des enfants auxquels ils s’adressent : format à l’italienne en maternelle (un demi A4 dans le sens paysage), A5 jusqu’à la 3e primaire, intermédiaire entre le A5 et le A4 pour la fin des primaires et la remédiation.

Le lignage proposé, ensuite.

Précisons d’emblée que le lignage proposé classiquement est différent en Belgique et en France, pour des raisons culturelles, et non pédagogiques. Les cahiers présentés ici s’adaptent à leur public-cible, tout en proposant des variantes au lignage dominant.

Commençons par le lignage du livret belge. En Belgique, on utilise depuis quelques décennies (j’ai un cahier d’avant guerre qui montre un autre lignage, proche du lignage français) les cahiers « 3 lignes » pour l’écriture. Par la suite, les enfants passent au cahier 1 ligne, ce qui leur demande de reprendre des repères, les intervalles étant différents.

Le livret belge adapte ces lignes en y ajoutant des couleurs : il y a la ligne de terre (brune), la ligne d’herbe (verte), la ligne de ciel (bleue) pour les lettres montantes et la ligne de feu (rouge), pour les lettres descendantes. Sauf que toutes les lettres montantes ne vont pas jusqu’à la ligne du ciel (les boucles, oui, les hampes, non), et que certaines lettres descendantes s’arrêtent avant la ligne de feu… Compliqué, tout ça, pour un petit bout de 5 à 6 ans…

Repérer où on écrit n’est pas facile… et transférer ce qu’on a appris dans un cahier ligné ordinaire ne l’est pas moins.

Sans parler de la taille de ce lignage: pour faire le plus grand « f » demandé à l’enfant, il faut une amplitude dépassant les 3 cm. C’est possible en mobilisant les doigts pour un adulte, mais ce n’est pas facile. Pour un enfant de 5-6 ans, la taille de sa main ne le permet tout simplement pas, il devra mobiliser le poignet… ce qui est l’opposé de ce qu’on cherche à obtenir.

Quel lignage propose les cahiers de Laurence Pierson ?

Ils en proposent plusieurs, évolutifs en fonction de l’âge et l’expérience de l’enfant.

Dans le cahier GS, le lignage proposé est le lignage Gurvan (téléchargeable sur le site), mis au point par Anne-Gaël Tissot, graphopédagogue en Alsace ( https://www.sos-ecriture.com ). Ce lignage, dérivé du lignage Seyès, propose des zones de couleur permettant à l’enfant de repérer les zones des lettres médianes, des lettres montantes et des lettres descendantes. Il comporte les mêmes repères que le Seyès pour les d et les t.

Dans les cahiers CP (première primaire), le lignage proposé est un Seyès agrandi, avec un rail d’écriture de 3mm en début d’année (le même que dans les cahiers 3 lignes scolaires), évoluant vers le 2,5 mm en fin d’année.

La ligne d’écriture, violette, se distingue bien des interlignes turquoise, et une page d’exercices de repérage (une série de frises) précède les premiers exercices d’écriture utilisant ce lignage. Ces exercices, sous forme d’une frise en bas de page, se retrouvent régulièrement dans le cahier. Pour passer au lignage classique, il restera à diminuer à 2,5 mm, puis 2 mm la taille des interlignes… puis à supprimer ceux-ci. On se retrouvera alors avec un cahier ligné classique, sans avoir besoin de prendre de nouveaux repères.

Posture et tenue de crayon

Les deux collections donnent des conseils de posture et de tenue de crayon.

Le livret De Boeck explique la prise tridigitale correcte du crayon… mais les dessins qui l’illustrent sont de mauvaise qualité (pour les deux mains, mais tout particulièrement pour la main droite) : commissure pouce index fermée, pouce en extension.

C’est probablement lié à l’angle de vue… mais le dessin ne permet pas de le voir. Or, si le pouce est tendu,, le mouvement partira du poignet et non du pouce… C’est donner une mauvaise piste aux enfants, et à leurs enseignants.

Les cahiers MDI expliquent la tenue du crayon avec des photos d’enfants…

L’indication du « soleil bien rond » permet de s’assurer que le pouce est semi fléchi, prêt à assurer le mouvement. Les cahiers ne font pas mention de l’information “pour droitiers – pour gauchers” … mais les informations, tout comme dans le livret De Boeck, sont données pour les deux mains.

Position de la feuille

L’information donnée dans les deux collections est identique : la feuille est inclinée dans l’axe de l’avant-bras qui écrit.

Mais, encore une fois, les dessins du livret De Boeck sont trompeurs, surtout pour le droitier (moi, je vois une feuille parallèle au bord de la table, et un enfant qui n’écrit pas en face de lui…)

Les cahiers de Laurence Pierson sont plus explicites, ils comportent un mémo d’écriture qui rappelle les trois points à vérifier, sous forme de rituel, avant d’écrire : les doigts, le cahier, la main sous la ligne… Ce mémo est présenté pour les gauchers et pour les droitiers.

La progression

La progression des deux collections diffère totalement.

Le livret belge, écrit par trois enseignants et une logopède, regroupe les lettres par « similitude de difficulté » (aspect général proche) sauf les voyelles, vues en premier (logique de lecture).

La quantité d’écrit reste la même du début à la fin du cahier, et ne tient donc pas compte de l’aisance progressive de l’enfant. Les modèles à copier ne dépassent jamais le stade de la syllabe. C’est la raison pour laquelle il est plus adapté à la 3e maternelle qu’à la première primaire.

Le cahier français, écrit par une graphopédagogue et enseignante, suit une logique d’apprentissage du geste d’écriture, couplée à une logique de lecture. Le geste est travaillé en premier, puis les lettres qui l’utilisent, et les mots présentés le sont avec la prononciation la plus fréquente de la lettre. En GS, il y a donc un chapitre important en plus, celui qui permet d’automatiser la tenue de crayon, le mouvement des doigts et le déplacement du bras. Ce chapitre est présent dans les autres cahiers de la série, bien que moins détaillé.

La quantité de matière augmente peu en maternelle, mais atteint quand-même le stade du mot signifiant facilement décodable (gare, wapiti, zéro,…), permettant ainsi un premier lien avec la lecture. En première primaire, le lien avec la lecture et les progrès des enfants est net (quantité croissante sur l’année, mais aussi mots à compléter par la syllabe manquante ou la lettre manquante, exercices « Je copie, je dessine »…) Dans le second cahier consacré aux minuscules (étiqueté première et deuxième primaires), un travail spécifique est fait sur la cédille, la ponctuation, le passage des caractères imprimés à l’écriture cursive, la mise en page d’un poème.

GS:

                         

CP:

La méthode d’apprentissage

Le livret De Boeck Van In présente l’apprentissage de chaque lettre selon le même schéma, ce qui aide l’enfant à améliorer son autonomie. Les dessins sont attrayants, l’impression générale est agréable…

Cette méthode est basée sur un guidage verbal du tracé, ce qui entraîne une situation de double tâche (« je monte, je tourne, je redescends et je remonte un peu » ne permet pas de penser « llllll » en même temps).

De plus, le geste est fait en grand (avec le poignet), puis en moins grand (avec le poignet). Il n’y a pas de raison pour que l’enfant, devant les modèles suivants à peine un peu moins grands, utilise ses doigts plutôt que le poignet…

L’enfant est invité à repasser sur des pointillés …et ce, même dans le dernier exercice, qui devrait permettre d’entraîner la fluidité du geste ! Je ne vois pas trop quelle fluidité on peut espérer d’un exercice aussi cadenassé.

Les modèles sont proposés à droite pour les gauchers, ce qui est totalement inutile si la posture est correcte (cahier incliné dans l’axe de l’avant-bras), mais cohérent avec le fait que cette posture n’a été travaillée dans aucun exercice, et qu’elle n’est pas spontanée chez les enfants, qui mettent généralement leur cahier “bien droit” sur leur banc.

   

La méthode du cahier d’écriture de Laurence Pierson est différente. Après une série d’exercices visant à automatiser le geste, celui-ci est réinvesti dans les pages d’écriture proprement dites. Le geste, libéré du guidage vocal, peut être associé au son produit par la lettre, et la séance d’écriture vient renforcer la leçon de lecture.

Les modèles

Il n’y a pas de modèle officiel en Belgique francophone, du moins pour l’instant. Peut-être y en aura-t-il un dans les nouveaux programmes, qui résulteront du pacte pour un enseignement d’excellence. Il y a néanmoins des traditions, qui diffèrent peu (pour les minuscules) des modèles officiels français utilisés par les cahiers de Laurence Pierson.

Le livret belge présente des modèles en couverture, mais ces modèles ne sont pas tout-à-fait identiques à l’intérieur du livret, et même sur une même page, il peut y avoir une différence entre le modèle de tête de page et les pointillés à repasser. C’est gênant quand l’enfant, en plein apprentissage, ne sait pas encore quelles sont les variantes et quelles sont les constantes d’une lettre.

Le principal problème de ces modèles concerne les lettres rondes (o , a, d, g, q et le c), qui sont précédées d’un trait d’attaque inutile.

Le o présente aussi un œilleton, qui n’est pas constitutif de la lettre mais apparaît normalement lors du passage à une écriture rapide. Présenté dès le début, il est reproduit avec zèle par certains élèves, au point de perdre la spécificité du o, la finale haute.

Enfin, les lettres rondes, le h et le p sont décortiqués en plusieurs morceaux, façon puzzle, ce qui n’aidera pas à acquérir une écriture fluide.

Pour comparaison, voici les modèles des cahiers de Laurence Pierson pour ces mêmes lettres. Toutes ces lettres se forment à partir de gestes déjà appris, en un seul mouvement.

Les aménagements contextuels

C’est quoi, ce truc ? Pas de panique… c’est ce petit détail qui fait que vous ne tracez pas la fin du b de la même manière s’il est suivi d’un i que s’il est suivi d’un r, par exemple. C’est ce que les polices cursives des ordinateurs font rarement… et que le livret De Boeck Van In peine aussi à faire… Regardez comment le o est “attaché” au f, comment le b est présenté seul, attaché au i … et au e. Étrange, non ? Et ennuyeux.

   

Les cahiers d’écriture de Laurence Pierson ne présentent pas ce problème. Mieux, ils mettent encore une fois l’enfant devant des difficultés progressives : les liaisons difficiles comme le be, br, ve et vr ne sont pas dans le cahier GS, ni dans le premier cahier CP. Elles apparaissent secondairement au CP, lorsque le tracé de la lettre est bien acquis.

   

Conclusion

Je ne recommande pas “Mon livret d’écriture des minuscules” (De Boeck Van In), malgré son aspect attrayant, parce qu’il ne favorise ni la fluidité de l’écriture, ni une tenue correcte faute d’automatisation et à cause des modèles trop grands pour des enfants si jeunes.

Je recommande fortement les cahiers d’écriture de Laurence Pierson, parus chez MDI, comme étant plus progressifs, permettant une réelle automatisation des gestes nécessaires à l’écriture, et présentant des modèles adaptés à une écriture fluide. Cette méthode insiste de plus sur le lien entre l’acte d’écriture et la lecture, l’une renforçant l’autre.

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